Swipe to the left

Le 800 mètres : une alchimie particulière entre sprint et demi-fond !

Par Sylvain Bazin 21 août 2017 81375 Vues Aucun commentaires

Le 800 mètres : une alchimie particulière entre sprint et demi-fond !

La victoire de Pierre-Ambroise Bosse aux récents championnats du monde de Londres a mis en lumière une distance qui n’a jusqu’à présent guère souri aux athlètes français : c’est la première médaille française dans la discipline aux mondiaux ! Il faut dire que la discipline, si captivante à regarder, relève d’un équilibre très difficile entre vitesse et endurance.

Si chaque distance relève d’une tactique, d’un entraînement et de qualités physiques particulières, le 800 metres reste sans doute un cas à part dans le registre athlétique. Ces deux tours de piste demandent en effet un effort aux limites du sprint et aux portes du demi-fond. Un équilibre entre la vitesse pure et la résistance qui donne lui donne tout son caractère.

Un équilibre difficile entre vitesse et résistance

Souvent spectaculaire, plein de rebondissements et luttes, le 800 mètres est sans doute une des disciplines les plus difficiles à maîtriser. Il faut courir vite, c’est sûr, mais tenir une vitesse très élevée sur deux tours de piste reste compliqué. L’acide lactique produit par cet effort très anaérobie rend souvent les fins de course très difficiles. Il faut équilibrer sa course dans une répartition d’effort qui ne peut être linéaire. Ceux qui résistent le mieux à la déperdition de vitesse des derniers 200 mètres seront sans doute les meilleurs, à condition qu’ils n’attendent pas trop non plus pour produire leur attaque. L’idée est en effet de résister le plus possible à la déperdition de vitesse : en général, sur un 800 m, le premier tour se court 2 secondes en moyenne plus vite que le premier et les 200 premiers mètres restent les plus rapides.

Une distance carrefour

Du coup, cette distance carrefour a souvent séduit, au cours de l’histoire, au moins deux profils de coureurs différents : les “sprinters longs”, venus du 400 mètres ou ceux qui possèdent avant tout des qualités de puissance et de vitesse, et les “demi-fondeurs”, venu du mile et du 1500 mètres, qui peuvent exprimer leurs qualités de résistance. Bien sûr, au-delà de ces deux grands types de coureurs de 800 mètres, on retrouve des profils variés au plus haut-niveau. Même si, à l’heure actuelle, la spécialisation pure “800 m” semble être de mise au niveau mondial, avec tout de même un profil de sprinter long assez affirmé pour la plupart des spécialistes.

Les grands du 8

Le 800 mètres est une course à part également par son histoire. Elle a été marquée par des grands coureurs et la progression des chronomètres, ces dernières décennies, n’a pas été aussi bouleversée que pour d’autres distances. La preuve que c’est une discipline à part et qui reste très difficile à maîtriser, tant ses différents facteurs physiologiques sont contradictoires?

Un flashback dans ce panthéon du 800 m nous permet de nous rappeler des figures marquantes :

  • C’est l’américain Ted Meredith, qui établit au cours de jeux olympiques d’Anvers en 1912 le premier record du monde officiel, en 1mn 51s9. Cependant, la discipline était disputée depuis les débuts de l’athlétisme moderne, sur 800 m lors des Jeux Olympiques, ou sur 880 yards, c’est à dire un demi-mile, dans les pays anglo-saxons. On peut relever d’autres performances de valeur sur ces distances avant cette première marque ratifiée.
  • L’allemand Otto Petzler, un coureur au destin particulièrement tragique, améliore ensuite cette marque de quelques dixième en 1926, en 1’51”6. Sur cette course, il devance le double champion olympique Douglas Lowe. On voit ici déjà l’opposition entre les coureurs de type 400/800 comme Lowe et ceux plus axé “demi-fond”, comme Petzler, qui détiendra aussi le record du monde du 1500 m.
  • Un autre allemand, Rudolph Harbig, va révolutionner la distance en 1939 en faisant passer le record du monde, qui a progressé de façon régulière jusqu’alors, de 1’48”4 à 1’46”6. 

Harbig, qui mourra quelques années plus tard sur le front de l’est, est entraîné par le fameux Waldemar Gerschler, le père de l’entraînement fractionné. Cette méthode très scientifique, qui reste la clé de voûte de la plupart des entraînements de haut-niveau modernes, avait fait progresser le jeune allemand de 2’04” à cette marque en quelques années.
Ce record très en avance sur son époque tiendra seize ans.

  • Peter Snell, le néo-zélandais, sera le recordman le plus marquant des années 60. Il fait passer, sur une piste en herbe, le record à 1’44’’ 3 en 1962. Coureur puissant mais plutôt orienté 800/1500 m, il va marquer longtemps les esprits. Son record sera plusieurs fois égalé mais jamais dépassé avant l’apparition de l’italien d’origine sud-africaine Marcelo Fiasconaro (1’43”7 en 1973). 
  • Tout comme ce dernier (dont la carrière fut brève à cause de blessures), son successeur est un coureur axé 400/800 et il va même réaliser un doublé inédit au Jeux Olympiques de 1976 en remportant ces deux distances. Alberto Juantorena reste assurément un des grands noms du 800 m. A noter qu’en 1976, le 800 m est couru avec le premier tour en couloir, ce qui peut aussi être un avantage pour des coureurs habitués aux 400 mètres.
  • Le recordman suivant est quant à lui plutôt un coureur de 1500 m / 800 m. Ce n’est autre que Sebastian Coe. Ses duels avec son rival Steve Ovett, puis avec Steve Cram, sa maîtrise et sa foulée tout en équilibre marqueront à jamais l’histoire de l’athlétisme. Lui aussi fait largement évolué le record du 800 m, le portant à 1’41”73 en 1981. Il ne sera battu qu’en 1997, par le danois d’origine kenyane Wilson Kipketer
  • Si de nombreux athlètes courent dans les eaux des 1’42 ensuite, personne ne semble en mesure d’améliorer encore largement le record avant l’apparition du kenyan David Rudisha. Gabarit puissant, plutôt sprinter, il se distingue par des courses très rapides d’entrée. A Londres, en 2012 lors de la finale olympique, il s’impose de bout en bout en améliorant son propre record du monde et en abattant la barrière des 1’41” : 1’40” 91. C’est encore aujourd’hui la marque de référence. Le grand kenyan, champion olympique à Rio également, n’a pas en effet retrouvé depuis un tel état de forme.
  • Ces dernières années, le 800 mètres est l’affaire de purs spécialistes, se risquant rarement sur d’autres distances, tant chez les hommes que chez les femmes, mis à part Caster Semenya qui a tenté, sans succès, un doublé aux derniers mondiaux. Pierre-Ambroise Bosse est l’archétype de ce pur spécialiste. Il a développé une maîtrise tactique de la distance qui lui a notamment permis de décrocher l’or à Londres (bien entendu, il faut aussi le physique!).

    Le record de “Kratoch”

    Chez les femmes, il faut noter que le record du monde reste la propriété de la tchéque Jarmila Kratochvilova depuis 1983. Le record avait évolué rapidement à partir de la fin des années 70. Depuis, certaines athlètes s’approchent régulièrement assez près de la marque (1’53”28) de “Kratoch”, sans la dépasser.
    Malheureusement, l'histoire du 800 m féminin au niveau mondial est très entaché de soupçons de dopage.

    Le 800 à la française

    Si la distance est très prisée en France dans les clubs depuis toujours ( la France comptait ainsi une grande densité de coureurs de niveau national et interrégional dans les années 90/2000), elle n’avait pas franchement souri aux tricolores au plus haut niveau avant le titre de Pierre-Ambroise Bosse. Il est ainsi le premier athlète français à obtenir une médaille mondiale.

    L’histoire du 800 m français n’est cependant pas vide de très bon coureurs avant Bosse. Le premier spécialiste marquant fut sans doute Sera Martin, une des figures majeures du demi-fond de l’entre-deux-guerres.
    Il fut recordman du monde de la distance, succédant à l’allemand Petzler, en 1928. Son temps de 1’5 est plutôt impressionnant si on le ramène aux conditions de l'époque et à l'entraînement plus que léger suivi par Sera Martin.
    Sa semaine type : 3 kilomètres de footing trois fois par semaine et un 500 mètres à fond une ou deux fois par semaine... C'était plutôt léger !
    Sera Martin prendra la 6e place aux JO de 1928 et la 8e quatre ans plus tard.
    Son record de France tiendra jusqu'en 1945 et fut battu par un autre athlète marquant dans l'histoire du 800 m français : Marcel Hansenne.
    Ce grand gabarit, à la longue foulée, fut même l'un des meilleurs mondiaux sur le double tour de piste de l'immediate après-guerre : il établit ainsi en 1948 le deuxième temps mondial en 1'48"3. Un peu malchanceux aux jeux de Londres, il doit se contenter de la 3e place. Entraîné par Gaston Meyer, futur rédacteur en chef de l'Equipe, il deviendra ensuite tout naturellement journaliste pour ce même journal (qui ne parlait pas presque exclusivement de football à l'époque !).
    Marcel Hansenne demeure l'un des très rare français médaillé en grands championnats sur 800 m.
    En effet, même si la discipline connait de belles idivualites ensuite, citons en premier lieu José Marajo (longtemps recordman de France et finaliste olympique), Philippe Dupont, Marcel Philippe le new-yorkais ou Bruno Konszylo, personne ne viendra s'inscrire au plus haut de la hiérarchie mondiale avant Bosse.
    Lorsque celui-ci, après avoir battu tous les records des catégories jeunes, déboule le record de France détenu par Mehdi Bahla en 1'42"53 on se dit qu'il possède vraiment le potentiel pour conquérir une médaille mondiale. Après des places de finaliste mondial et une 4e place aux Jeux, on connaît désormais la suite de cette trajectoire dorée.

    A quand la Bosse au féminin ?

    Chez les dames, le 800 m a apporté une médaille olympique en 1964 grâce à la regrettee Maryvonne Dupureur, deuxième à Tokyo en 2'01" déjà.
    Ensuite, quelques bonnes spécialistes s'illustreront au plus haut niveau, comme Marie-Francoise Dubois avant l'avènement de Patricia Djate, qui détient toujours en 1'56"53 le record de France depuis 1995. Ces dernières années, Elodie Guégan, puis Renelle Lamotte et Justine Fedronic ont brillé.
    On attend toujours le "Bosse" au féminin !